En sortant du Centre d’Interprétation Marcel Marlier aménagé dans deux granges du XVIII ème siècle, un édifice vous fait face. Quel est-il ?
Il s’agit du corps de logis du Château des Comtes de Mouscron. Un château qui, au fil du temps, a perdu de nombreux éléments. La façade que vous apercevez, remodelée au XVIII en style tournaisien, comprend deux niveaux et quatre travées. Elle est surmontée d’une très haute bâtière d’ardoises entre pignons débordants avec trois lucarnes à l’avant. Au nord : tourelle d’escalier avec poivrière d’ardoises flanquée d’une latrine en encorbellement couverte d’un petit toit en ardoise. Au sud-est : tourelle d’angle flanquant jadis l’aile sud du logis aujourd’hui puits et pigeonnier.
La résidence des seigneurs de Mouscron bien que réduite à peau de chagrin fait toutefois la fierté des Mouscronnois car il s’agit du plus ancien bâtiment civil de la ville, un patrimoine auquel ils sont symboliquement attachés.
Le logis et le site sont classés par Arrêtés Royaux des 30 octobre 1945 et 22 janvier 1973.
En 1332, lors de l’achat à Béatrice de Louvain de la seigneurie de Mouscron par Bernard de la Barre, riche négociant en vins anobli à la fin de sa vie, la seigneurie n’existe qu’en terres et fiefs vassaux sans un quelconque bâtiment comme centre. Son petit-fils Oste va remédier à ce manquement. En 1422, Il confisque à Jean Leblond, pour défaut de payement de rentes, le fief des Ramées et sa métairie. En 1431, il obtient son incorporation au gros de la seigneurie de Mouscron. Peu après, il transforme la motte des Ramées en un véritable château-fort. Les seigneurs de Mouscron tiennent enfin leur château, concrétisation de leur pouvoir ! Les de la Barre vont étendre leur seigneurie en se rendant maîtres d’autres fiefs tout en apportant des améliorations au Château des Ramées. Mais très vite, ils n’habiteront pas le manoir de manière permanente à cause des responsabilités qu’ils occupent auprès des souverains bourguignons puis espagnols. Ils accompagnent les ducs et les rois sur les champs de bataille d’Europe. Ils entreprennent également de longs voyages délaissant leur château qui n’est plus entretenu ni même gardé. Le danger est réel en temps de troubles. Profitant de l’absence de Ferdinand de la Barre occupé par ses charges auprès du roi d’Espagne, les Hurlus s’emparèrent du château qui ne pouvait offrir aucune résistance. Ils n’occupèrent les lieux que très peu de temps puisque les partisans du roi d’Espagne le reprirent à l’aide de l’artillerie, trois mois plus tard ! C’était en 1579. Le château subit encore des dommages dans les années qui suivirent. Dans quel état de délabrement devait-il se trouver à la fin des troubles ? D’autant que Guilbert, le fils de Ferdinand, guerroya aussi contre les Gueux. Il fut capturé par ceux-ci et libéré contre rançon qui affaiblit beaucoup ses finances privant sa résidence de travaux nécessaires afin de réparer les dommages provoqués par les guerres de religions.
Aux de la Barre succédèrent les de Liedekerke. Malgré la paix retrouvée, peu de travaux furent entrepris, à l’exception d’une écurie. Toutefois, Ferdinand de Liedekerke qui avait entamé une carrière militaire, obtint le titre de comte en 1627, en remerciement de la fidélité des services rendus par ses ancêtres. Il épousa Cosme Spinola en 1636 et transforma le château. C’est à cette époque que les bâtiments restaurés, modifiés, et agrandis, atteignirent leur développement maximum tel qu’Antoine Sandérus, habile dessinateur, les présenta. Ne l’appelez plus Château des Ramées mais bien Château des Comtes. Il est beau, il est grand, entouré de larges douves et de beaux jardins. Un pont prolongé d’un pont levis permet le passage de la basse-cour à la haute cour.
En 1645, le comté de Mouscron passe des de Liedekerke aux Basta. La période de paix fut de nouveau rompue par les guerres de conquêtes menées par le roi de France Louis XIV. De 1645 à 1713, les guerres du Roi Soleil vont ravager Mouscron et sa région. Fuyant les destructions et les pillages, les villageois se réfugient fréquemment au château des Comtes, du moins quand les soldats ne s’y sont déjà installés. Triste époque !
L’arrivée des d’Ennetières à la fin du XVII ème siècle apporta de profondes modifications. Cette famille résidait principalement à Tournai ou au château de la Berlière à Houtaing. En conséquence, la demeure seigneuriale fut louée. Cependant, le seigneur s’en réserva une partie : le donjon et le corps de logis actuel, la grande écurie et son grenier. Les d’Ennetières entreprirent les derniers grands travaux du château. Le manoir devint une belle maison de plaisance. On combla la douve séparant la basse-cour du château, on remplaça le pont-levis par un pont de briques, on rasa le mur d’enceinte et la tourelle sud-ouest. Quant au donjon, il s’écroula en 1801 entraînant la mort d’un ouvrier qui y travaillait !
A la mort du dernier comte de Mouscron, le château fut vendu et retrouva sa vocation de ferme au temps où il n’était que cense des Ramées. Le dernier fermier dut quitter le site quand il devint propriété de la ville de Mouscron qui le cèda à l’État belge en 1969 pour y installer la Justice de Paix mais ce projet n’a jamais été réalisé. En 1981 et 1982, deux campagnes de fouilles ont été entreprises sous la direction du Service SOS Fouilles de la Communauté français. Elles ont permis de mettre à jour les fondations du donjon, du mur de clôture devant le logis, du pont ainsi que des soubassements de la tour sud-ouest. Pour un franc symbolique, le Gouvernement a finalement remis l’ensemble du site à la commune en 1998. L’Échevinat de la Culture a alors lancé une grande enquête auprès de la population pour connaitre le souhait des citoyens en matière de réhabilitation.
Depuis plus de 10 ans maintenant, la Ville de Mouscron se bat corps et âme pour offrir une seconde jeunesse au Château des Comtes. Etape par étape, chantier par chantier, elle tente d’en faire un lieu naturel et culturel cohérent en adéquation avec le désir des habitants. Chaque phase a ainsi été pensée et développée dans le respect du site classé ; l’harmonie et l’homogénéité du projet global consistant en une approche touristique liée à l’Histoire et au patrimoine de la commune.
Les dépendances ont d’abord été restaurées en 2008, 2009 et 2010. Dans la foulée, la Ville de Mouscron s’est lancée dans la réaffectation des lieux en centre d’interprétation dédié à Marcel Marlier. Pour cela, elle s’est vu octroyer une aide financière du Commissariat Général au Tourisme. Les travaux de parachèvement des dépendances et leur aménagement scénographique ont ainsi été réalisés en 2013. Le « Centre Marcel Marlier, dessine-moi Martine » a finalement été inauguré en septembre 2015.
Au départ de cette initiative, il y avait évidemment une volonté de mettre à l’honneur la carrière d’un Herseautois en lui consacrant une exposition permanente. Au-delà de cette reconnaissance posthume, le potentiel touristique était un facteur primordial dans cette décision. Véritable phénomène éditorial, les livres de Martine ont été vendus à plus de 165 millions d’exemplaires dans le monde. L’héroïne représente aujourd’hui la 7e licence mondiale en littérature de jeunesse ! A ceci s’ajoute également l’ancrage local important de l’œuvre de Marcel Marlier. En outre, le cadre bucolique du Château des Comtes convenait particulièrement bien à l’œuvre romantique et poétique de Marcel Marlier connu pour sa passion de la nature.
En 2016 et 2017, les travaux consistant à aménager les abords du bâtiment ont commencé. Après le pavage de la cour basse et la rénovation des bassins des douves (incluant la réalisation d’une passerelle et d’une coursive longeant le Centre Marcel Marlier), la Ville de Mouscron a inauguré les jardins en mars 2018. Grâce à une petite cascade, ils offrent un espace de détente agréable à proximité du centre-ville. Un sentier arboré permet par exemple de faire le tour du site à pied ou à vélo pour en découvrir toutes les facettes et constituent un pôle d’intérêt ornithologique. Un éco pâturage est aussi entretenu par la Cellule environnement de la Ville. Quant aux douves, elles sont alimentées par les eaux de pluie et les eaux propres issues de l’égouttage séparatif mis en œuvre au départ du Bois-Fichaux.
Pour que l’emblème de la cité retrouve un intérêt total, il ne restait donc plus qu’à réhabiliter le corps de logis et ce sera bientôt chose faite puisqu’un parcours interactif sur l’Histoire du Château des Comtes et la vie quotidienne en territoire rural en Belgique durant le Bas Moyen-âge et la Renaissance est en réflexion. Le projet intitulé « Mouscron, les voyageurs du temps @immersive experience » sera un concept muséographique intergénérationnel de divertissement indoor couplé d’un atelier-café. Grâce à une scénographie attractive, il plongera les visiteurs dans le passé de la cité par le biais du jeu et des nouvelles technologies. Basé sur des faits historiques, le scénario fera voyager le public grâce à une exposition en réalité virtuelle/augmentée et des workshops permettant de s’approprier les richesses culturelles du lieu avec imagination et surprise.
Le parcours est en bonne voie de voir le jour d’ici 2024. Des travaux de stabilisation urgents ont déjà été réalisés début 2020 en concertation avec le Service du Patrimoine du Service Public de Wallonie et la Commission Royale des Monuments, Sites et Fouilles. D’autres mesures conservatoires sont actuellement en cours pour permettre une restauration et un aménagement intérieur dans de bonnes conditions. D’ici quelques années, une annexe devrait également être construite pour répondre aux besoins fonctionnels.